Ce mot m’a fasciné dès l’instant où je l’ai découvert, il prend tout son relief en allemand, cette langue, trop souvent moquée en France. La version française d’Eigengrau, c’est le gris intrinsèque. Est-il possible d’avoir consonance et connotations plus froides ?
Comment définir Eigengrau ?
C’est ce que qu’on voit dans le noir profond. Notre cerveau ne peut pas percevoir ce noir complet car il reste toujours un bruit électrique faible sur le nerf optique qui donne à voir la couleur et c’est cette couleur si particulière qu’on appelle eigengrau. Eigengrau, c’est, selon moi, le parfait mariage de la science et de la poésie. Eigengrau, c’est ce que la science produit de plus beau, quand elle explique sans dénaturer le charme, sans effrayer nos rêves.
Ce mot a résonné et j’ai su que j’allais écrire sur ce mot. Au moment de laisser venir les mots, mon imaginaire a convoqué Pierre Soulages et son outrenoir, et David Lynch avec son mystérieux film en noir et blanc, Eraserhead, titre à qui mon accent anglais très français semble donner une consonance allemande là aussi.
J’ai eu beaucoup de plaisir à le faire découvrir à mes lecteurs et à recevoir des commentaires tellement plaisants et tellement fins. C’est un poème qui semble sombre, mais qui ne l’est pas. Je veux en faire une ode à ce qu’on perçoit quand on n’y voit plus. Est-ce un hasard, si j’ai écrit ce poème après avoir lu « Le monde commence aujourd’hui » de Jacques Lusseyran, cette magnifique leçon de résilience de l’auteur, devenu aveugle et toujours émerveillé par la vie, même aux portes des enfers ?
L’eigengrau est la couleur de nos rêves. Avec l’eigengrau, il y a de l’espoir dans le noir profond, il y a la lueur au bout de la nuit.
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