Putain, Jean, mais qu’est-ce qu’on a fait ? Jean, putain ! Tu dis rien. Deux semaines que je te dis qu’on a fait une connerie et que tu me laisses plantée là sans rien dire. Deux semaines que je pourrais parler à mon journal intime, que j’aurais plus de réponses. Tu te rends compte, Jean ? Quand ça démarrait comme ça, je savais que j’allais pas trouver de putain de sortie à son foutu discours, rien, pas moyen d’échapper à son pilonnage. En temps normal, je prendrais ma veste, j’irais marcher dix minutes et je finirais l’après-midi au bar du stade. A rigoler avec les potes. On rigole bien. Là, pas possible, pas d’échappatoire, il allait falloir résister. Résister, tenir, pas se défendre, parce qu’elle n’attendait que ça que je me défende, pour redoubler sa hargne. J’avais pas la force. Pas la force de combattre ; Esther, quand elle pilonne, il n’y a pas de prise, il ne faut pas la regarder, il faut laisser filer, sinon, ça cogne, ça cogne toujours plus fort. Pourtant, c’est dans ces moment-là qu’elle est la plus belle. Je ne peux pas dire pourquoi, et je ne peux pas la regarder, mais pourtant, je sais qu’elle dégage toute sa beauté, là, à ce moment précis où tu sais que la colère, elle ne va plus s’arrêter. Elle frappe pas, Esther, elle s’agite, elle gesticule, elle parle, elle parle, elle questionne et le ton monte, fort et elle commence à m’insulter, à me provoquer, à me dire la merde que je suis, à me rappeler que je n’existe que parce qu’elle est là. J’ai plus la force d’entendre tout ça. Plus la force. D’habitude, je prends ma veste et je pars marcher dix minutes et je finis au bar. Après, ça va. Je rentre, Esther, elle dort et quand elle se réveille, elle est contente de me voir, elle a pleuré et puis, elle est contente de me voir. On se parle, moi, je suis tout crème à cet instant, l’atmosphère du bar qui m’a bercé. Je ne bois pas beaucoup quand j’y vais, je bois pas plus que les copains mais je rentre et là tout va mieux. Là, pas possible, je sens que ça monte depuis ce matin, elle parle. J’ai la boule dans le ventre, parce que je sais pas quoi faire. J’ai envie de vomir, là d’un coup, parce qu’elle parle. La connerie ? Mais de quelle connerie, elle me parle, putain, je ne sais plus. Elle parle, elle parle. Et quand elle parle comme ça, je sais que ça va être compliqué. Je ne sais pas quoi répondre, je pourrais gueuler, mais si je gueule, je me mets en colère et si je me mets en colère, je suis tout rouge, je perds mes moyens et elle redouble la hargne et elle me martyrise, elle me fait peur, je suis bien une merde, là. Enfin, comme les autres jours, mais sa beauté, vous comprenez, elle me la montre. Elle cogne, elle pilonne avec sa beauté, souvent je me dis, c’est ça qu’on dit quand une fille est un canon. J’adore Esther, mais elle me fait vraiment peur. On n’a pas fait à manger, parce qu’on on est assis depuis ce matin, la télé, elle va, on n’a pas mis le son, parce que sinon, c’est fatigant. Les images, c’est bien, ça permet de regarder un truc, sinon, c’est vide autour de moi. J’ai pas la force, je voudrais qu’elle arrête de me parler parce que moi, je sais pas quoi lui dire. On a fait une connerie, qu’elle me dit. Putain, je voudrais pouvoir boire un canon, là, ou un demi. Là, je le prendrai cul-sec, parce que putain, j’ai soif, cette chaleur, qu’elle dégage, avec sa parole continue. Je lui en veux pas, elle a besoin de parler, mais je sais pas quoi lui dire. C’est quoi comme connerie qu’on a pu faire ? C’est pas une connerie, on l’a voulu, on peut pas dire qu’on n’est pas content. Et puis, c’est vrai, le virus, on savait pas qu’il allait arriver, est-ce qu’on sait ça ? Quand ça vient ? Elle parle mieux que moi, Esther. Parfois, elle adore mon côté homme, un peu con. J’suis un peu con. C’est vrai. Je suis pas méchant, notez-bien, mais bon, que voulez-vous ? J’ai pas choisi d’être comme ça. C’est pas la vie qui vous fait ? Si, c’est pas moi, j’ai pas choisi d’être comme ça, j’aimais bien Esther, elle m’aimait bien, on a bien rigolé et nous voilà, ça fait dix ans qu’on est ensemble. Les colères, au début, y en avait, mais après on rigolait. On rigolait fort, on pouvait pas s’arrêter. Parfois. Moi, j’adorais ça. Les colères d’Esther, c’est comme je vous disais, ça grandissait sa beauté. On buvait une bière ensemble, parfois des bières, elle partait dans la colère et là, la beauté complète. Et je lui disais « comme tu es belle ! », au début, la colère s’en allait direct, elle m’embrassait, on se serrait et parfois, elle me suçait et on était bien, pour l’après-midi. Vous comprenez, les colères, c’était notre folie. On racontait ça partout, on aimait ça. Je sais plus si c’est les bières ou la colère qui sont venues le plus souvent. Je ne sais plus. L’alcool, ça marchait pas pour Esther. Moi, ça allait, j’ai pas eu besoin de me calmer, mais Esther, ça l’a un peu perturbée comme on dit. Alors, comme elle sait faire, elle a arrêté. L’alcool, mais les colères, non, enfin si au début, ça allait, j’étais pas inquiet. Et puis les colères et sa beauté sont revenues plus souvent, les colères étaient plus fortes. Je suis pas sorti aujourd’hui. Je fais des tours dans le salon depuis qu’elle parle fort. Je sais que ça va arriver la colère, je le sais, mais je sais pas quoi faire. J’voudrais bien pouvoir me dire que c’est ouvert le bar. J’ai la trouille et je crois qu’elle aussi. D’ailleurs, j’ai mis ma veste pour sortir et je me suis rappelé, que c’était fermé, à cause du virus. Il me fait moins peur que la beauté d’Esther, celui-là. Je suis revenu dans le salon, et c’est là, qu’elle a insisté fort sur la connerie qu’on a fait, à deux. Là, trois heures que ça tourne, je lui ai dit, mais non, on n’a pas fait une connerie, c’est pas vrai. On a fait ce qu’on a pu et ce qu’on voulait. Je sens ma boule qui grossit dans le ventre. Et puis, tu veux faire quoi maintenant ? Tu me fais chier, je lui ai dit. D’habitude, je ne dis pas ça, d’habitude, je suis déjà parti, je le dis, mais qu’à moi, dans la rue et quand j’arrive au bar, j’en ai plus besoin, j’y vais juste pour boire un verre et rigoler. Je partirais bien, mais rentrer trop tôt, c’est aussi arriver en plein dans la colère. Ça l’a mise dans tous ses états quand je lui ai dit tu me fais chier. Elle s’est rassise et puis elle a arrêté de parler. Elle regardait plus rien, elle a commencé à pleurer et là, j’ai vu que j’avais la place, j’ai commencé à gueuler, vraiment fort et à aimer ça, putain, c’était comme si ça vibrait dans mon ventre et ma poitrine. Fort. Je voyais, que ça lui faisait pas d’effet, j’avais toute la place pour être qui j’étais, là, je lui ai bien montré qui j’étais. Je l’ai bien insultée, elle ne méritait que ça. Elle a compris qu’il fallait pas me chauffer. Elle n’était plus belle du tout, et elle allait bien fermer sa gueule, maintenant. Elle pleurait, c’était bien la peine de pleurer. Putain, me faire chier comme ça, avec son ventre, me dire qu’on avait fait une connerie avec un bébé dedans pour pleurer maintenant. Elle a crié, elle s’est levée pour partir dans la cuisine, mais je pouvais pas la laisser comme ça, c’était moi qui décidais. Je lui ai mis une claque, et une autre plus grosse encore, j’avais jamais fait ça, mais là, je savais que c’est ce qu’il fallait. Il fallait que je sois moi, là, enfin. Elle est tombée, sa tête a un peu tapé. C’est calme, là, j’ai pas eu besoin d’aller marcher et d’aller au bar. Elle dort, je crois que ça fait longtemps. Je l’ai allongée dans le canapé. J’ai mis la télé avec un peu de son. Pas fort. Je suis content, elle est calmée. J’aime pas taper comme ça. C’est la première fois. Elle est belle aussi quand elle dort.
Cette nouvelle a été primée et publiée en avril 2021 par le journal Breizhfemmes.fr et l’association Mots pour Mots, à Rennes.
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