L'instant et les mots La poésie, c’est révéler l’instant…

Ray Carver, mon inspiration

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Dans la liste de mes écrivains préférés, le nouvelliste américain Ray Carver tient une place très particulière. C’est sans doute une de mes sources d’inspiration les plus certaines, grâce à sa capacité à décrire l’intensité du banal, pour lequel j’ai tendance à dire ma passion. Je trouve aussi sa poésie admirable, mais ce n’est pas le sujet du jour.

A mes yeux, où se niche le talent de Ray Carver ?

Ray Carver a ce talent inouï pour retranscrire les scènes de la vie quotidienne dans ce qu’elles ont, à la fois de plus simple et à la fois, de plus parlant pour dire les personnages. Ray Carver ne s’attarde pas sur une description approfondie du lieu ou du personnage. En effet, le temps de la nouvelle ne le permet pas. Il va donc à l’essentiel pour dire ce que sont les États-Unis qu’il décrit. Il s’agit d’une Amérique populaire, une Amérique modeste, une Amérique sans repère. Les personnages ont peu d’avenir et ne sont pas conformes à l’idéal américain.

La nouvelle « plumes »

Je relisais hier la nouvelle « Plumes » du recueil « Les vitamines du bonheur » édité chez les Éditions de l’Olivier. Il s’agit de la première nouvelle du recueil. Elle est ciselée à souhait, il n’y a pas un mot de trop, pas une phrase inutile, pas une phrase qui ne dise pas ce que sont les personnages ou qui ne décrive l’action. Chaque phrase est dans ce que j’appelle l’intensité du banal. Les phrases sont courtes, comme le sont les phrases de ces deux collègues de travail, deux des personnages, que sont Bud et Jack.

Bud a invité Jack et sa femme à dîner. On sent bien que Jack, le narrateur, et Fran sa femme ne sont pas habitués aux conventions sociales. L’auteur ne le dit pas, mais en quelques lignes de dialogue, on comprend leur désarroi pour savoir, par exemple, s’ils doivent amener quelque chose en cadeau. Fran se désengage apparemment complètement de la décision mais Jack est incapable de décider. Fran fera un pain maison. Sans s’engager, c’est tout de m^ême elle qui est à l’initiative. C’est d’ailleurs ce qu’on sent durant toute la nouvelle, Jack regarde toujours, interrogateur, l’attitude de Fran, il se range plus ou moins à son avis et il voudrait qu’elle ait envie de venir et de voir son copain Jack. Il voudrait de tout son cœur que cela lui fasse plaisir. Évidemment, Bud est un copain de Jack, mais pas de Fran et on sent qu’il voudrait qu’elle valide leur amitié. Jack a besoin de l’assurance de Fran et n’est pas autonome.

Comme d’habitude, Carver n’est pas dans les stéréotypes et décrit cette situation en quelques mots. En effet, on s’attend à ce que Jack soit l’homme de pouvoir sur sa femme. Ce n’est pas le cas. Par ailleurs, dans la nouvelle, l’ennui est marquant. Cette situation est mise en lumière par des phrases simples, parfaitement adaptés aux personnages qu’on devine d’une culture modeste. On lit parfaitement la richesse des personnages dans ce qu’ils ont de fragile et de vulnérable.

LeS accessoires de la vie chez Ray Carver

Les descriptions de ceux-ci sont courtes, mais on a le sentiment de vite les connaître, de vite se retrouver dans le huis-clos, juste perturbé par un paon, animal de compagnie improbable du couple Bud et Olla, et par un moulage effroyable des dents d’Olla, datant d’avant son orthodontie et du début de sa relation avec Bud, son sauveur d’une misère sombre. Ce moulage est posé sur le téléviseur, double accessoir de la scène. Le téléviseur est souvent présent, personnage discret de Ray Carver.

Quand ils arrivent, il est allumé et diffuse la fin d’une compétition de stock-car, une de plus, une parmi tant d’autres. Bud ne semble pas vouloir renoncer, alors qu’il a conscience de l’inutilité, il a conscience de sa faiblesse. Ni Jack, ni Fran ne semble oser dire qu’on peut éteindre. Sans doute, ce petit évènement, les quelques derniers tours de circuit, vont évaporer l’ennui. Ces derniers tours de circuit sont une échappatoire à l’instant de la rencontre, l’instant chargé d’inconfort et de maladresse. C’est l’évènement transitoire de la rencontre et de son malaise. C’est aussi là le talent de Ray Carver, dire le malaise, dire l’inconfort social, dire l’hésitation de la rencontre, de dire cette intensité du banal.

La simplicité du détail

Un autre détail dans la nouvelle est essentiel à mes yeux, le cendrier en verre et col de cygne. Bud le pose devant Jack et Fran, la fumée d’une allumette craquée par Fran en sort. Jack plonge son regard dans cette fumée et encore une fois, ce cygne dit tout de la scène, l’accessoire, simple, décrit beaucoup qui sont Bud et Olla et le micro-évènement est aussi cet échappatoire dont a besoin Jack. Chaque personnage, par de petits éléments de la scène du repas, va utiliser une pensée, un accessoire pour fur l’instant. Chacun s’échappe pour s’accrocher à un autre rêve. Pour se laisser une chance d’être un autre.

Sur le fond de l’histoire, cette soirée va être un tournant dans la vie de Jack et Fran, qui, avant de venir, ne veulent pas d’enfant. Jack raconte cette histoire bien plus tard dans leur vie. Le bébé de Bud et Olla, personnage absent dans le début, va faire son entrée progressive et se révèle être aux yeux de Jack, un bébé très moche. Il semble que l’évènement va rendre possible pour Fran et Jack, le désir d’enfant, sans doute décomplexés par le bébé. A deux, Jack et Fran, vont sombrer doucement dans le désarroi du couple rongé par la routine et le désamour.

Pourquoi Ray Carver est-il si indispensable ?

Il me semble qu’il échappe à la littérature chargée d’histoire, fourré à l’improbable, à l’extraordinaire. Il s’attache à l’essentiel, sans fard, sans vouloir dire plus que ce que le présent offre à dire. Pas de contes extraordinaires, ici, des instants étonnants comme la présence d’un paon, mais rien d’autre que l’ordinaire n’a sa place. Et c’est là cette place du banal qui me semble essentielle, car ce sont les fondations de notre quotidien. Sans la banalité, pas de place pour les rêves, pas d’issue au réel, il n’y pas de faux espoirs chez Carver, on n’échappe pas à la réalité, à l’intensité du banal, on la rend palpable, on se recentre avec lui, on se rappelle le tangible.

Crédit photo Pedro Gonzalez sur Unsplash

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Stéphane Bulot

Très heureux de pouvoir partager mon travail sur l'instant et les mots. J'espère que vous aurez envie de vous abonner et prendrez plaisir à lire mes mots.

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