Au cœur d’un été à peine troublé par des inondations catastrophiques, des incendies majeurs, et des records de chaleur, mais finalement plus perturbé, en France, par une météo un peu récalcitrante, l’arrivée d’un footballeur de renom et une vague de manifestations que je ne suis pas en mesure de comprendre, le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) a sorti son rapport sur l’état de la planète, étouffée par un réchauffement climatique causé par l’Homme.
Ce qu’il faut retenir de ce rapport : même si la situation est alarmante, il est encore temps d’agir pour rester dans le cadre d’un réchauffement à 1,5°C d’ici 2050. Agir collectivement, agir individuellement. Je ne vais pas vous faire un résumé ou une explication, ni même énumérer les modes opératoires pour passer de 12t d’émission d’équivalent CO2 par an et par français à 2t, d’autres font cela bien mieux que moi. Je conseille notamment la lecture de cet excellent article sur le rapport du GIEC sur le blog bonpote, merveilleuse ressource pour tous.
Oui, si vous ne le saviez pas, la France est engagée par l’accord de Paris à cela et cet effort est concrètement celui que nous, Français, devons porter : réduire d’un rapport 6 notre émission de CO2 ! C’est évidemment considérable, mais largement atteignable si nous changeons nos modes de vie. Au passage, si nous ne le faisons pas nous-même, la nature s’en chargera pour nous avec son lot de contraintes (et quand je parle de contraintes, cela ne se joue pas dans la même cours que la contrainte du passe sanitaire).
pourquoi ne pas agir individuellement OU collectivement ?
Depuis assez longtemps, cette question est, à mon esprit, lancinante : pourquoi, malgré notre information maintenant importante, n’agissons-nous pas profondément, pourquoi ne pas agir individuellement plus, pourquoi ne pas agir collectivement mieux ?
La réponse a jailli alors que je prenais quelques notes sur l’action individuelle et collective possible. J’avais d’ailleurs déjà fait quelques ébauches dans une nouvelle que je n’ai pas diffusée, écrite durant le premier confinement, qui parlait du quatrième confinement de 2023, confinement rendu nécessaire, non plus par le covid, mais par la nécessaire et urgente réduction des émissions de gaz à effet de serre (dans le jargon, les GES).
Que me disent mes personnages ?
La réponse que je m’adresse est donc assez simple : relis tes nouvelles, écoute tes personnages et tu verras qu’ils te diront pourquoi ils ne peuvent agir contre le réchauffement climatique. Fondamentalement, nombreux sont ceux qui n’ont pas la disponibilité, trop occupés à gérer l’instant pour pouvoir se projeter dans une réduction des GES dans leur mode de vie. Car pour pouvoir agir individuellement et collectivement, encore faudrait-t-il maîtriser son mode de vie ? Notamment en le libérant de toutes ses addictions.
J’aime raconter les addictions alcooliques avec, par exemple, Esther, le bar d’A ou chantiers et blessures (désolé pour les non abonnés, il faut l’être pour accéder à ces deux derniers écrits, mais vous pouvez vous rendre à la page d’abonnement si vous le souhaitez), mais qu’en est-il des addictions au travail, une addiction bien plus terrifiante pour le réchauffement climatique ? De même, qu’en est-il des addictions aux vidéos et séries ? Qu’en est-il des addictions aux réseaux sociaux qui nous créent un miroir déformant de ce que nous sommes ? Qu’en est-il de l’addiction au paraître, qui pour les uns nécessite un renouvellement complet annuel de la garde-robe, pour les autres, la possession d’un SUV ? Qu’en est-il finalement de l’addiction à la possession et à la consommation, cette dernière étant la synthèse de presque toutes les précédentes ?
Mes personnages sont prisonniers de leur mode de vie. Par exemple, Jean et Esther sont prisonniers l’un de l’autre, de leur misère. Christophe, dans le bar d’À, est installé dans un cercle vicieux et confortable qui l’emp^èche de se libérer. Enfin, le personnage de chantiers et blessures porte tant de souffrance de jeunesse qu’il ne peut vivre que dans l’attente de sortir de ses frustrations, dans l’attente que quelques choses se passent pour lui.
C’est dans cette attente que réside pour moi le blocage et cette attente s’exprime de façons diverses : la fameuse attente qu’agissent nos politiques, attente parfois renvoyée vers la Chine, ou d’autres pays peut-être plus pollueurs que nous ou juste l’attente que son voisin propriétaire d’un SUV agisse pour que je ne prenne plus l’avion pour aller en week-end au Maroc. Mais c’est aussi l’attente du miracle, la même attente que celui qui croit en sa chance en allant acheter souvent sa grille de loto ou son jeu à gratter (quelle expression !). Et puis, il y a l’attente qui ne dit pas son nom, l’inaction à l’état brut, celle couverte par l’absence d’espoir, le conformisme, le fatalisme, qui souvent se voile parfois des draps de la sagesse de celui qui a tout vu, tout fait et que plus rien ne peut émerveiller.
Se libérer du monde libre
Chacun s’est assujetti à l’attente d’un monde meilleur, enfermé dans un monde de consommation. Nous avons prêté allégeance à un monde que nous préférons appeler « le monde libre » mais que nous ne désirons pas, un monde qui a anesthésié nos désirs. Je dis anesthésié par espoir qu’il ne soit qu’endormi avant une renaissance proche. Mais, bien entendu, comme mes personnages, je ne peux attendre cette renaissance, je dois agir à sa renaissance, la renaissance de mon désir, nettoyé de tout attrait pour la consommation, de toute attirance pour les méfaits de ce « monde libre », expansionniste, moraliste et infiniment consommateur de ressources finies.
Nous, ce monde libre, sommes une puissante machine de destruction et d’auto-destruction et nous n’avons perdu la capacité individuelle à réagir, à dire non et surtout à désirer un autre monde. Nous contestons, nous disons non, mais nous n’avons pas ce désir d’un demain meilleur pour tous chevillé au corps et c’est donc un non qu’on n’écoute plus car il ne nous convainc pas.
Nous n’avons plus la possibilité d’agir : trop occupés à essayer de gagner un peu d’argent et à le dépenser, trop occupés à survivre à une société de l’injonction au bonheur, une société qui a érigé notre individu au centre de tout contre toute autre fin, qui fait que, non, nous ne sommes pas disponibles pour désirer cette humanité et cette biodiversité, trésors parmis les trésors de l’univers. D’autres s’en chargeront peut-être, mais nous, nous n’avons ni le temps, ni la tête à cela.
Une poignée d’individus disponibles et motivés pour agir, une fois qu’elle aura réussi à éviter les tombereaux d’injures de ceux trop occupés à cracher leur haine depuis leur cinquantaine, blanche et grisonnante, pourra agir pour nous tous. Ces écolos pastèques comme certains les appellent (ces verts à l’extérieur, rouges à l’intérieur) seront bien trop seuls.
Quelles sont nos chaînes ?
Nous voici donc debout sur une vague infernale à surfer nos vies comme nous pouvons et à nous retrouver, là, maintenant, au pied du mur, à relever la tête et agir individuellement pour certains et à continuer pour la plupart dans une frénésie infernale d’enfermement et d’attente. Non, nos chaînes ne sont plus celles qu’on croit, nos chaînes n’ont plus le bruit des fers, nos chaînes ont des reflets bleutés, nos chaînes sont les regards d’autrui, nos chaînes sont la pauvreté, nos chaînes sont notre misère culturelle, nos chaînes sont notre soif d’avoir, nos chaînes sont l’oubli et la négation de toute spiritualité, nos chaînes sont l’oubli de toute paix intérieure, nos chaînes sont la fuite de cette intériorité fondamentale.
Selon moi, agir individuellement pour la planète, cela peut être des gestes pour la planète, recycler, rouler et voler moins, mais c’est avant tout connaître profondément qui on est, s’émerveiller pour l’intensité de l’instant, cette intensité du banal, au cœur de mon travail d’écrivain.
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